Culture

Entretien

Cinéma : David Oelhoffen, « Au moins agir sur le monde »

auteurVéronique Giraud | Vendredi 15 novembre 2024 | 17:12
Au moment où le Liban est à nouveau en guerre, David Oelhoffen réalise Le Quatrième mur, présenté en avant-première au festival Cinemed. Une adaptation du livre de Sorj Chalendon inspiré par ce qu’a vécu le journaliste à Sabra et Chatila qui sortira en salles le 15 janvier 2025.

Vous avez tourné au Liban Le Quatrième mur dans lequel est ramenée à la surface la difficulté pour un pays de vivre avec son passé. Quel écho en vous ?

Si je me suis autant intéressé aux problèmes politiques et d’identité à travers mes films, c’est peut-être dû à mon histoire familiale. J’ai vu comment les problèmes politiques s’incarnent de façon très intime à l’intérieur des familles. Ce qui m’intéresse c’est comment la politique s’articule à l’intérieur des corps, d’une famille. Pour moi l’intersection entre le politique et l’intime s’appelle l’identité. Je suis né en Espagne, j’ai grandi en France, ma mère est espagnole, j’ai pu voir à travers elle des préjugés qu’elle a vécus et qui se sont effacés au cours du temps. C’était moins classe il y a cinquante ans d’être Espagnol dans le sud de la France que maintenant.   

Je fais un cinéma politique, et le prochain film le sera encore. Il traitera des problèmes migratoires en Méditerranée centrale. Ma volonté là aussi est de montrer comment les politiques européennes s’incarnent et quels dégâts ça va produire si on continue de faire l’autruche.

 

Qu’est-ce qui vous fascine dans la guerre ?

La guerre ne me fascine pas. Ce qui m’intéresse ce sont les moments de bascule historiques, les moments où les personnages sont dans un monde qui a perdu ses repères. Où on doit se poser la question de qu’est-ce que je dois faire, qui je suis, à quelle loi j’obéis, à qui je dois être loyal. Ce qui m’intéresse, plus que la guerre, ce sont les situations extrêmes où les gens sont obligés de se poser des questions que tout le monde se pose tous les jours.

 

Le film débute par une scène qui met en jeu la loyauté. Le Liban vous pose la même question ?

Ça fait partie des nombreuses mises en abîme de ce roman. Quand je me suis lancé dans cette aventure, je me suis senti un devoir de loyauté vis-à-vis de Sorj Chalandon qui est l’un des trois journalistes entrés les premiers dans les camps de Sabra et Chatila le lendemain des massacres. Il m’a laissé très libre d’interpréter son texte, mais je lui ai demandé au cours d’une discussion amicale ce qu’il ne fallait pas changer. Quand je lui ai proposé de le transposer en Syrie, en 2018 ou en 2020, il m’a dit non, « cette femme il faut que tu la laisses au Liban, sur son lit de mort, c’est trop important pour moi ». J’ai pu m’éloigner du roman mais toujours avec loyauté vis-à-vis de Sorj, ne pas faire n’importe quoi parce qu’il y a du sentiment, de la vie, du vrai. Ce roman n’est pas une matière anodine.

Geroges, mon personnage principal, se sent aussi un devoir de loyauté vis-à-vis des comédiens. Moi, je n’avais pas envie de décevoir tous les Libanais qui m’ont fait confiance, m’ont aidé à fabriquer ce film, à représenter le Liban de la façon la plus juste possible. Je ne connaissais pas le pays avant de me lancer dans cette aventure. Comme George

 

L’Antigone d’Anouilh a été créée à Paris en 1944 sur fond d’occupation. Qu’est-ce que ça dit de la résistance ? Du Liban ?

C’est le début de la mise en abîme qu’opère ce film à différents niveaux. Antigone est choisie par ce que c’est une pièce de résistance, qu’il faut introduire au Liban pour essayer de dire symboliquement qu’il faut résister à la logique de guerre et de compromission. Ce que ça dit du Liban, ce sont les dialogues de Marwan, joué par Simon Abkarian, dont celui-ci : « Je ne comprends pas très bien ce que tu vas faire avec le théâtre. J’ai l’impression que c’est plus pour vous donner bonne conscience que pour essayer de régler nos problèmes ». La tragédie est en place depuis longtemps dans cette région du monde, et vous ne vous intéressez à nous que quand il y a la guerre.

Dans le livre est écrit qu’après la désillusion de transformer le monde par la politique, il y a l’espoir de transformer le monde par l’art. C’est là que commence le film. Georges accomplit cette entreprise avec l’espoir non pas d’arrêter la guerre mais au moins d’agir sur le monde.